Bonjour.
Je m’appelle "Le Crès", ce qui veut dire terrain pierreux.
Depuis le néolithique l’homme m’a choisi pour y habiter, le long du Salaison ou sur les collines environnantes. Hameau, jadis perdu dans la garrigue à l’est de Montpellier, j’ai au cours de
mon histoire été balloté d’une seigneurie à l’autre pour être, au XIIIe siècle, rattaché en tant que "quartier du Salaison" à la baronnie de Castelnau-le-Lez.
Aux cours des siècles qui suivirent, ma vie ne fut pas toujours, comme le Salaison un long fleuve généralement tranquille.
C’est une autre histoire que je vous raconterais un jour prochain.
Suite à la révolution de 1789 et les modifications territoriales qu’elle engendra, j’espérais avoir mon autonomie. Que nenni, je suis resté inféodé à notre voisine castelnauvienne. Mes habitants, que l’on appelait alors "les mangeurs de lézards", n’apprécièrent pas beaucoup ce statuquo. Il allait s’en suivre et ce pendant des décennies, des règlements de comptes à la
"ok garrigue" entre Le Crès et Castelnau.
En 1846, la municipalité de Castelnau refuse d’intervenir pour le nettoyage des puits existants
sur mon territoire, celui place de l’actuelle Mairie et celui du jardin du presbytère.
Les cressois réagissent : " … vous reconnaissez qu’une population de 300 âmes manque d’eau potable depuis quinze ans, qu’elle est obligée d’en aller chercher au loin et en toute saison, mais rien… votre mauvaise foi et mauvaise volonté sont ici évidentes… ".
Treize ans plus tard, en 1859, dans un courrier au préfet, les cressois récidivent : "Nous venons à vous comme des enfants s’adressent avec confiance à leur père pour obtenir pitié et justice". Tout rentrera dans l’ordre dans les années 1870.
Avant cet incident, deux ans auparavant, les cressois avaient, "face à l’attitude dominatrice" de nos actuels voisins adressé une pétition au préfet pour que je sois érigé en commune indépendante. Un commissaire enquêteur, Monsieur Larman, fut désigné par la préfecture pour étudier la requête. Ce brave homme procéda à un inventaire cadastral, à celui des habitations et bâtiments divers, sans oublier hommes, femmes, enfants et bétail. Les puits, l’église et sa cure, le four commun, l’enseignement scolaire, les finances à venir, rien ne fut publié.
L’enquêteur préfectoral émis un avis favorable. Il va de soi que nos voisins n’ont pas apprécié. À chaque conseil municipal de Castelnau, auquel Le Crès ne participe pas, c’est le "non" à la
séparation qui l’emporte.
Le temps passe, nous sommes au début de l’année 1872, et afin d’éviter un conflit armé de fourches et râteaux, les castelnauviens finissent, "pour faire preuve de bonne volonté", par abdiquer.
Le 18 septembre de la même année, le préfet signe l’arrêté proposant mon Independence et M. Adolphe Thiers, premier président de la IIIème République, va le 30 septembre signer à son tour le décret qui fait de moi, enfin, une commune autonome.
Devenu libre, je gambade allégrement de rochers en bouquets de romarin, de vignes en pacages. J’enjambe fièrement le Salaison entre un buisson de chèvrefeuille et un de mûres
sauvages. Mais au-delà de la ligne bleue du thym en fleurs, à Castelnau, certains ont du mal à accepter cette séparation.
La République a beau prôner la Liberté, l’Egalité et surtout la Fraternité, quand l’application de si nobles principes vous impute d’une partie de votre territoire, de vos revenus fonciers et autres, ça fait mal. Mais je reconnais que depuis, beaucoup d’eau a coulé dans le Lez et le Salaison et que Castelnau et moi sommes devenus les frères amis d’une même famille, la Métropole.
Merci à Pierre REBOULIN